Woking qualifie d’hyper-GT sa Speedtail, sprinteuse hybride qui s’est appropriée le statut de voiture homologuée pour la route la plus rapide de l’histoire du constructeur. La nouvelle «McLareine» est d’ailleurs présentée par ses concepteurs comme étant la légataire universelle de la McLaren F1, détentrice jusqu’alors de ce record. Autant dire qu’on touche à l’exceptionnel !
Grimpez donc dans notre DeLorean DMC-12, tripatouillée par un savant fou de notre connaissance, et embarquez en notre compagnie pour un petit trip dans le temps, direction 1992. Non content de faire la misère depuis quelques saisons à la Scuderia Ferrari sur les circuits de Formule 1, non content d’être un véritable «cauchemaranello», McLaren voulut étendre sa domination à la vie de tous les jours.
L’écurie anglaise produisit dans ce dessein la McLaren F1 (voir encadré). Ironie du sort, la première McLaren homologuée pour la route connut aussi une carrière sportive hors du commun, décrochant la victoire au général aux 24 Heures du Mans dès sa première participation (1995).

La plus rapide des supersportives du vingtième siècle – une F1 GT a été chronométrée à 391 km/h en 1998 – était capable d’en remontrer aux plus affûtés des bolides «stradale» de Maranello en matière de tenue de route également.
Ce record de vitesse, la première fusée «immatriculable» de Woking l’a conservé jusqu’à 2005 et l’avènement, coup sur coup, de la Koenigsegg CCR et de la Bugatti Veyron 16.4. Mieux, au sein de sa famille, la McLaren F1 a pu préserver son statut de «sprinteuse Alpha» jusqu’au 26 octobre 2018, jour du dévoilement de la Speedtail (lors d’un événement dédié organisé à Londres).

Dernière-née des Ultimate Series, gamme la plus exclusive de McLaren, la nouvelle reine anglaise du sprint (la «McLareine», autrement dit) a fait sien le titre (ô combien) honorifique de voiture homologuée pour la route la plus rapide de l’histoire de la marque. Elle est capable d’atteindre une Vmax de 403 km/h, ce qui représente 12 unités de plus que la F1 GT de 1998.
C’est en partie pour cela que ses concepteurs la présentent comme l’héritière officielle de la F1. En partie seulement, car ces deux-là ont bien des choses en commun. A l’instar de son aïeule du siècle dernier, la Speedtail dispose de trois sièges, avec celui du pilote placé au centre du cockpit. Comme elle toujours, elle sera produite à 106 exemplaires – déjà tous réservés, même si le tarif réclamé est conséquent, à savoir quelque chose comme 25 millions de dirhams hors taxes, et que la livraison des premiers exemplaires ne devrait pas avoir lieu avant fin 2020.
A noter, pour en finir avec la F1 et son legs monumental, qu’elle n’a pas tout perdu dans l’affaire. Woking a peut-être trouvé une nouvelle taulière en matière de vitesse de pointe, mais sa devancière a toujours largement de quoi se consoler !

A toute (hy)bride
Elle est toujours la plus rapide des voitures civiles abritant un moteur atmosphérique, toutes marques et époques confondues, de même qu’elle domine toujours le «squad» de Woking dans la catégorie «moteur thermique», la Speedtail embarquant, en plus de son V8 4.0 l biturbo, évolution du bloc de la McLaren Senna qui devrait dépasser allégrement les 800 ch qu’affiche cette dernière, un moteur électrique. Il s’agit du module KERS de la McLaren P1, en l’occurrence, moteur qui délivre 179 ch.
Sans rentrer dans le détail, McLaren annonce que cet attelage permet à la Speedtail de revendiquer une puissance cumulée de 1 050 ch ! La P1 est largement derrière avec ses 916 ch et prend logiquement 3,7 s dans la musette sur l’exercice du 0 à 300 km/h, pulvérisé en 12,8 s par la Speedtail. Par ailleurs, les rivales disposant d’écuries plus vastes se comptent sur les doigts d’une main. Citons la Chiron de Bugatti ou la One:1 de Koenigsegg. La Speedtail est peut-être moins puissante et moins rapide que ces deux-là, mais c’est mal connaître McLaren que de penser que la course à la puissance figurait en tête de liste des desiderata des décideurs de la marque.

Le matériel génétique de McLaren affiche une forte teneur en «Formule 1». Alors, plutôt que la puissance ou la performances pures, c’est l’efficacité qui semble avoir été érigée au premier rang des priorités chez Woking dans le cadre du développement de la Speedtail.
Basée sur une version améliorée de la structure monocoque en fibre de carbone Monocage du constructeur anglais, dotée d’une suspension active en aluminium, de freins carbone céramique, de pneus Pirelli PZero développés spécifiquement pour elle et d’un centre de gravité très bas (la hauteur du véhicule est au maximum de 1,16 m), elle devrait exploiter pleinement sa puissance démentielle. D’autant qu’elle est plutôt légère pour un véhicule hybride (1 430 kg), McLaren ayant également eu recours à de la fibre de carbone pour la carrosserie. Comme son aînée de 1992, elle affiche des dessous de bête de course, fait appel à des techniques transférées directement des paddocks !

Sprinteuse dans le vent
Le «caméléonisme» se poursuit au plan esthétique. En effet, la nouvelle reine du sprint présente, comme son nom l’indique, une «queue» («tail» en anglais), une poupe très particulière, ne ressemblant à aucune autre sinon à celle de sa testatrice, la version GT de la F1. Cela confère une dégaine terriblement originale à cette sportive à la longueur de version XL de quelque limousine allemande (5,14m de long), mais autrement plus étroite.
Une fois l’œil habitué à la poupe étirée, la Speedtail révèle un équilibre rare, admirable, entre finesse et agressivité. A l’image des «streamliners», locomotives et quatre-roues apparues avant la Seconde Guerre mondiale et ayant survécu à ce terrible conflit, cette McLaren adopte une forme en goutte d’eau permettant d’offrir une faible résistance au vent et d’optimiser vitesse et stabilité en ligne droite.
La traînée est d’autant plus réduite que cette sportive sculpturale intègre des prises d’air latérales dans les portières, remplace les rétros extérieurs par des caméras qui s’escamotent une fois le mode «Velocity» activé (en même temps qu’est réduite de 35 mm la garde au sol). Pour fendre le vent de manière optimale, elle a aussi recours à un fond plat, à un imposant diffuseur arrière, ou encore à d’ingénieux petits ailerons mobiles disposés de part et d’autre de la poupe et habillés de fibre de carbone flexible.

Plan à 3 fabuleux
Une autre trouvaille aérodynamique est à déceler au niveau des roues. Mesurant 20 pouces à l’avant, les jantes sont couvertes d’un cache fixe en carbone, à la manière des vélos utilisés par les sprinteurs. A l’arrière, leur taille grimpe à 21 pouces, mais elles font fi dudit artifice.
Un spectacle à couper le souffle. Mais pas autant que celui que réserve le cockpit. Installé au beau milieu de cet espace épuré au possible, le poste de pilotage est cerné de part et d’autre par les deux baquets passagers, placés légèrement en retrait. Il fait face à un écran de taille généreuse regroupant l’instrumentation et le clair des fonctionnalités du véhicule, lui-même enserré par les moniteurs qui permettent d’afficher les images des caméras faisant office de rétros.
Enfin, la console centrale typée aéronautique et donnant à voir un délicat enchevêtrement de fibre de carbone et de titane, a été disposée au niveau du plafonnier. Elle concentre diverses commandes : bouton de démarrage, touches pour la transmission, pour la désactivation du contrôle de stabilité… On ne saurait trop vous conseiller de fuir comme la peste la dernière commande citée, cela dit !
Mieux que la F1 ?
Conçue par Gordon Murray, ingénieur de talent, qui a été l’artisan de nombreuses victoires en F1 de McLaren Racing entre 1987 et 1989, la première sportive de route de Woking a éclaboussé de son talent la décennie ultime du siècle précédent. En fait, elle était tellement au-dessus, la McLaren F1, avec son V12 6.1 l atmo d’origine BMW développant la «bagatelle» de 627 ch, ses trains roulants et ses liaisons au sol de proto d’endurance à peine civilisé, que son record de vitesse a tenu sept ans au niveau de la hiérarchie mondiale et pas moins de vingt ans au sein de son clan.
Certes, Woking n’a produit aucune voiture homologuée pour la route entre 1998, année de l’arrêt de production de sa F1, et 2003, année lors de laquelle est révélée, la SLR McLaren, produite en partenariat avec Mercedes-Benz et déclinée en trois versions (S, GT et Stirling Moss). En revanche, depuis 2011 et le lancement de la McLaren MP4-12C, ce ne sont pas moins de 8 bolides qui ont été commercialisés par McLaren (sans l’aide de personne) : P1, 650S, 675 LT, 570, 540C, 720S, Senna et 600LT ! Du très lourd !

La plupart des modèles cités ont donné du fil à retordre aux «Féfés» et aux «Lambos» qu’elles ont défiées. Seulement, aucun d’entre eux, pas même l’hypercar hybride P1 et ses 916 ch, n’est parvenu à contester l’hégémonie de la F1 GT en matière de vitesse pure ! La Speedtail, qui doit beaucoup, esthétiquement parlant, à la F1 GT et, plus particulièrement à sa version course, la GTR Longtail («longue queue»), dénommée ainsi à cause de sa partie arrière allongée y est parvenue, elle. Mais elle embarque deux moteurs, dont un faisant appel à deux turbos, quand la F1 se contentait d’un V12 à aspiration naturelle. Autre temps, autre mœurs ! Mais c’était tout de même mieux avant !